Sur une faible éminence de Sickert, dans le prolongement de la rue de la Chapelle, à la croisée des chemins, ce petit édifice blanc surmonté d’une croix est le passage obligé de tout promeneur qui veut s’enfoncer dans la vallée de la Doller, se perdre sur les pentes raides du Luttersberg ou simplement descendre vers Masevaux à travers les pâtures et les zones humides de l’ancienne jardinerie du Hertzenbourg. Par mauvais temps, le voyageur y trouve un abri contre les vents rageurs qui balaient cette petite crête. Au printemps, le lilas blanc, à côté de l’entrée, ajoutait une note ombrée et parfumée et assurait l’intimité à ceux qui y déposaient des bouquets et partageaient leurs secrets avec la vierge, avant que certains décideurs irréfléchis s’acharnent à le réduire en chicots disgracieux et ridicules.
Aucune délibération du conseil municipal de 1843 à 1882 ne parle de la construction de l’oratoire. Le 10 mai 1846, des notables de Sickert, dont Jean Naegelen (1790-1860), ont sollicité la municipalité pour la construction d’une chapelle au centre du village. Il s’agit de la première église de Sickert qui n’en possédait pas : toutes les manifestations religieuses avaient lieu à Masevaux. Cette confusion avec la Kutzakapalala est fréquente. La commune a toujours eu des difficultés pour financer ses projets. L’école et l’église, la réfection des chemins, le salaire du garde-champêtre et de l’institutrice étaient autant de gouffres qui engloutissaient les pauvres revenus que la commune tirait de ses forêts. Le budget pour 1870 prévoyait un excédent de recettes de 214,31F. La commune devra faire un emprunt pour payer la taxe mensuelle de 165F que l’armée prussienne lui impose au moment de l’annexion de l’Alsace en novembre 1871. Une dépense supplémentaire pour la construction d’un oratoire aurait été une charge trop lourde, inenvisageable pour la commune.
La construction de la petite chapelle sur la propriété appartenant aux Naegelen a donc lieu plus tard, sous l’occupation allemande, probablement entre 1882 et 1894. Elle relève de l’initiative privée du fils de Jean Naegelen, Jean Raphaël Naegelen,(1824-1894), maire de Sickert de 1851 à 1853 et de 1871 à 1880. Époux de Barbe Nussbaum, de Masevaux, le couple habitait dans la maison familiale, « S’PfanneleHüss », 21 rue Principale. On peut voir gravée dans la poutre au-dessus de la porte de la grange l’inscription « N 1800 N », les deux NN pour Nicolas Naegelen. De cette union sont nés onze enfants et plusieurs lignées dont la famille Bindler par leur fils Auguste, la famille Briswalter par l’union de Marie Barbe avec Briswalter Henri et la famille Bruckert par celle de Naegelen Marguerite, fille de Léon avec Bruckert Ernest.
Ces familles sont toujours présentes à Sickert et la Kutzakapalala chère à leur cœur a gagné celui de tous ceux qui ont franchi sa porte.
Jean Raphaël Baptiste Naegelen et son père Jean étaient tisserands, à rapprocher de la statue de Saint Séverin, patron des tisserands, actuellement en place dans l’église, datée de 1716, originaire probablement de l’église abbatiale Saint Léger. On raconte que la statue de la Vierge, dans l’oratoire, œuvre d’un vagabond que des Sickertois avaient hébergé et qui, en signe de reconnaissance, aurait taillé cette œuvre d’art dans un tronc d’arbre avec son couteau, portait à l’origine un manteau. Une demoiselle du village le subtilisa par convoitise. Son larcin découvert, elle fut sévèrement réprimandée et on lui dit que la sainte Vierge était très attristée par la perte de cet ornement. Elle remit donc le manteau à sa place, non sans apostropher la statue : « Tiens, revoilà ton manteau espèce de pleureuse ! » (Dü Pflannra !)
Toujours au sujet de ce manteau, on dit aussi que quelqu’un y mit le feu par mégarde, des cierges se trouvant au pied de la statue. Celle-ci a pu être sauvée, mais de ce jour Notre-Dame penche légèrement la tête, certainement sous l’effet de la chaleur qui a fait travailler le bois. D’aucuns disent que c’est de compassion …
Pour vous imprégner des légendes, montez à la chapelle, poussez la porte et recueillez-vous quelques instants. Marie, dont le monogramme orne le plafond, accueillera vos pensées de son sourire énigmatique, entourée de simples fleurs des champs ou de la flamme vacillante d’une bougie.
JJB
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